L’agence de notation BLOOMFIELD INVESTMENT, du département d’intelligence économique, dans son rapport publié le jeudi 31 mai à Abidjan, a permis d’établir une cartographie du risque pays de la Côte d’Ivoire, mettant en relief ses atouts, ses opportunités et faiblesses, afin d’éclairer au mieux les décisions d’investissements et de politiques de développement.
LA POSITION DE LA CÔTE D’IVOIRE DANS LA SOUS-RÉGION
D’une superficie de 322.462 km2, limitée au Nord par le Burkina Faso et le Mali, à l’Ouest, par la Guinée et le Libéria, à l’Est, par le Ghana et au Sud, par l’Océan Atlantique, la Côte d’ivoire est la première économie de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
En 2014, l’Institut National de Statistique (INS) estime sa population à 22,7 millions d’habitants, repartie de manière inégale sur le territoire national. Le district autonome d’Abidjan, la capitale économique abrite environ 20,8% de la population.
Avec un climat relativement chaud et humide, la Côte d’Ivoire présente des caractéristiques mixtes entre le climat équatorial et tropical, favorables à l’activité agricole. Son relief est peu élevé ; il est constitué de plaines et de plateaux et de montagnes, riches en ressources naturelles.
La façade maritime de la « terre d’ivoire » s’étend sur 520 km et lui offre une ouverture sur le Golfe de Guinée et l’Océan Atlantique. Avec 46,8% des exportations (de biens) de l’UEMOA, en 2017, elle s’impose comme la principale animatrice des échanges commerciaux de la sous-région.
Disposant de deux ports maritimes, la Cote d’Ivoire s’érige également en plateforme de transit, en faveur de plusieurs pays enclavés de la sous-région, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
LES ATOUTS RELEVÉS PAR LE RAPPORT BLOMMFIELD INVESTMENT CORPORATION
Quatre atouts majeurs relevés par l’agence de notation qui ne sont pas à négliger.
Comme premier atout, la Côte d’Ivoire demeure l’un des pays ayant réalisé un taux de croissance des plus importants d’Afrique Subsaharienne en 2017. Selon l’agence BLOOMFIELD, cette performance traduit de la résilience de l’économie ivoirienne aux chocs survenus en cours d’année, même si le taux de croissance qui est estimé à 7,6% est en ralentissement. En 2018, ce taux de croissance est attendu au-dessus de 7%.
Le deuxième atout porte sur l’inflation, qui est à un niveau faible. L’on note 0,7% en 2017, bien en dessous de la norme communautaire de 3%. Les mesures prises par le Gouvernement ivoirien en matière de lutte contre la cherté de la vie ont contribué à cet état.
Troisième points est que les autorités ivoiriennes ont fait montre d’une bonne réactivité, en tenant compte en 2017 de l’incidence des chocs survenus (revendications sociales, baisse des cours du cacao, etc) dans l’exécution du budget.
Terminant au niveau des atouts, par la bonne capacité de l’Etat ivoirien à lever des fonds sur les marchés internationaux grâce à la confiance des investisseurs. Récemment, le 15 mars 2018, l’Etat ivoirien est parvenu à émettre un Eurobond de 1,7 milliard d’euro, ce qui permettrait de réduire le risque lié aux fluctuations des taux de change. Selon le rapport, ces ressources ont été mobilisées, bien souvent à des taux et des maturités plus avantageux que sur le marché régional.
FAIBLESSES DE LA CÔTE D’IVOIRE
La lenteur dans la mise en œuvre des différentes réformes voulues par les autorités ivoiriennes en vue de l’amélioration du climat des affaires et le ralentissement des investissements en infrastructures sont les principaux facteurs de risque, au développement économique. Cela pourrait envoyer un mauvais signal au secteur privé national et aux investisseurs étrangers.
Par ailleurs, l’ambition de mettre à niveau le capital humain ivoirien dans l’optique de faire face aux besoins des entreprises locales est menacée par la politique d’amélioration de la rétention du système éducatif ivoirien. En effet, l’allègement des contenus de formation, des contrôles de connaissances et des tests de passage pourraient engendrer des ressources humaines moins bien formées et à une baisse des compétences de la main d’œuvre ivoirienne.
Il a été remarqué un déficit budgétaire, en 2017, avec 4,3% du PIB contre 3,9% en 2016, bien au-delà de la norme communautaire de 3% du PIB. Selon le rapport BLOOMFIELD, cette situation est imputable en partie à l’incidence sur le budget des crises sociales et à la chute des cours internationaux du cacao. En outre, le service de la dette demeure important, car représentant 43,5% des recettes publiques (fiscales et non-fiscales) à fin décembre 2017.
Egalement, la dette publique demeure exposée au risque de taux de change. En effet, la dette extérieure représente 57,4% du stock de la dette publique à fin 2017. Il met en relief le service dû, le service payé, les arriérés ainsi que l’encours et les stocks de la dette extérieure et intérieure de l’Administration centrale. Le PIB initialement estimé à 23.599,54 milliards FCFA, a été révisé à23 589, 60 milliards. Le stock de la dette s’élève à 9.755,28 milliards FCFA, comprenant 5.815,26 milliards FCFA de dette extérieure (59,6% du stock) et 3.940,02 milliards FCFA de dette intérieure (40,4% du stock). Ce stock de dette correspond à 41,4 % du PIB, ratio largement en dessous de la norme communautaire (UEMOA) de 70%, relative au critère de convergence multilatérale sur l’endettement.
TAUX DE CROISSANCE DANS LES SECTEURS D’ACTIVITES
Selon le rapport, il est observé une baisse de la part du secteur primaire au profit du secteur secondaire. En effet, les autorités ivoiriennes ont affiché depuis 2012, leur volonté d’orienter la structure de l’économie ivoirienne, en faveur du secteur secondaire, à travers l’Industrialisation. Même si cette évolution est relativement lente.
Ainsi, entre 2012 et 2017, les parts du secteur primaire et du secteur secondaire dans le PIB sont passés, respectivement, de 22,2% à 20,1% et de 24% à 27,8%. Cette dynamique a été portée principalement par le secteur du BTP dont la part se situe à 5,6% du PIB en 2017 contre 3% en 2012, en lien avec les nombreux investissements en infrastructures réalisés sur la période.
Le secteur tertiaire détient invariablement la contribution la plus importante au PIB, avec 32,7% en 2017.
La croissance de l’économie ivoirienne en 2017 a été portée principalement par les secteurs primaire (+10,9%) et tertiaire (+9,9%), alors que le secteur secondaire a connu un ralentissement (4,2% en 2017 contre 13,1% en 2016).
Notons que le taux de croissance de l’économie ivoirienne est demeuré important en 2017, bien qu’en ralentissement, à 7,8%. Cette performance permet à la Côte d’Ivoire de demeurer parmi les économies à forte croissance en Afrique Subsaharienne. Quand on cite notamment, un taux de croissance de 6% pour la Tanzanie, de 6,4% pour le Burkina Faso, de 7,2% pour le Sénégal, de 8,2% pour la Guinée, de 8,4% pour le Ghana et de 10,9% pour l’Ethiopie.
UN SECTEUR PRIVE « EN BONNE SANTE »
Selon le rapport de l’agence BLOOMFIELD, de façon générale, malgré des remous sociaux au cours du 1er semestre 2017, le secteur privé s’est globalement bien porté comme l’atteste l’indice de performance du secteur privé construit par BLOOMFIELD Private index.
Il est ressorti en moyenne à 50,43 (contre 48,9 en 2016), au-dessus de la ligne de référence qui est de 50. Par ailleurs, l’indice est demeuré au-dessus de 50 sur 7 mois en 2017, contre 5 mois en 2016.
Sur les deux premiers mois de l’année 2018, plus de la moitié des répondants du baromètre, qui est associé au BPI (outil qui permet d’avoir une visibilité sur les performances des entreprises exerçant en Côte d’Ivoire. Il est établi mensuellement et permet d’apprécier la dynamique d’évolution du secteur privé), jugent l’environnement propice à l’investissement.
UN SECTEUR INFORMEL QUI ABSORBE LA MAJORITÉ DES EMPLOIS
Du rapport BLOOMFIELD, le secteur informel absorbe la majorité des emplois en Côte d’Ivoire. Un taux de 93,3%, ce qui renforce donc la thèse précédente. Au moins 9/10 travailleurs exercent une activité dans l’informel, ce qui implique une non prise en charge par les services de prévoyance sociale et une incapacité fort probable à faire face aux risques d’accidents de travail.
LA QUALITÉ DE L’EMPLOIS ET LE NIVEAU DE VIE DES MÉNAGES
En 2012 et 2017, le niveau de l’emploi en Côte d’Ivoire a progressé. Selon les résultats de l’Enquête Nationale sur la Situation de l’Emploi et du Secteur Informel (ENSESI) réalisée en 2016, le chômage a reculé de 6,6 points de pourcentage, passant de 9,4% en 2011 à 2,8% en 2017.
Parallèlement, les enquêtes sur les ménages ivoiriens révèlent que la pauvreté a dans une certaine mesure, conservé sa même intensité depuis 2008, malgré le recul du chômage.
En effet, le taux de pauvreté serait passé de 48,9% en 2008 à environ 47% en 2017. Certes, les ivoiriens sont de plus en plus nombreux à exercer une activité, mais leur niveau de vie ne s’est pas pour autant significativement amélioré.
Ce constat pourrait s’expliquer par la faible qualité des emplois créés des emplois en Côte d’Ivoire. En effet, selon la Banque Africaine de Développement (BAD), la part cumulée des emplois vulnérables et des chômeurs dans la population active en Côte d’Ivoire se situe à 78,6% en 2016.Ce pourcentage révèle la précarité d’une bonne partie de l’emploi en Côte d’Ivoire.
Par ailleurs, le taux de chômage indiqué par l’ENSESI en 2016 de 2,8%, cache quelques inégalités. En effet, les femmes sont plus au chômage que les hommes (respectivement 3,5% et 2,3%). Aussi, dans des villes, où la vie est généralement plus chère relativement aux zones rurales, le chômage est beaucoup plus prononcé. L’on note 6,9% à Abidjan et 3,4% en moyenne, dans les autres villes contre 0,9% en moyenne, en zones rurales. Cette situation concourt à entretenir la pauvreté en Côte d’Ivoire et à dégrader les conditions de vie des populations.
Des actions ont certes déjà été initiées par le Gouvernement ivoirien, en matière de lutte contre le chômage, en particulier des jeunes, à travers le Projet Emplois Jeunes et Développement des Compétences (PEJEDEC), le Programme Spécial de Requalification (PSR), le programme C2D emploi, etc
Toutefois, l’impact sur le niveau de vie ne sera significatif, que si ces efforts sont accompagnés de mesure en faveur de l’amélioration de la qualité de la qualité et de la pérennité des emplois créés.
PERSPECTIVES RAPPORT BLOOMFIELD
Les perspectives pour l’année 2018 s’annoncent positives pour l’économie ivoirienne dans son ensemble. Le taux de croissance économique devrait se situer au-dessus de 7%, soutenu par cinq points :
- Le changement structurel en cours, en faveur du secteur secondaire, porté par l’installation d’usines de transformation de certains produits de rentes ;
- La bonne tenue dans l’ensemble des prix internationaux des principales cultures de rentes (cacao, anacarde, coton, etc) ;
- La poursuite des grands chantiers d’infrastructures (infrastructures routières, modernisation des ports, etc)
- La poursuite des investissements privés dans des secteurs clés (tourisme, télécommunication, transport, énergie, BTP, etc) ;
- Le renforcement de l’économie mondiale et la bonne dynamique des pays développés.
Cependant, certains facteurs de risque pourraient limiter cette dynamique.
Au niveau international, bien que la croissance ait rebondi ave des projections demeurant positives, il existe d nombreuses incertitudes, tant sur le plan commercial (en raison de la guerre commerciale entre les Etats Unis et ses principaux partenaires commerciaux), que géopolitique dont l’impact sur les économies des pays développés pourraient être significatif. Cette situation pourrait entre autres, fragiliser les flux d’investissements directs étrangers vers la Côte d’Ivoire et réduire les exportations nationales, à travers une baisse de la demande étrangère.
Le changement climatique est une réalité à intégrer fortement dans les politiques nationales. Des conditions climatiques défavorables mineraient les productions, impactant à la fois les populations qui en dépendent directement, les exportations et l’inflation à travers une baisse de l’offre des productions vivrières.
La lenteur dans la mise en œuvre des différentes réformes et le ralentissement des investissements en infrastructures pourraient constituer les principaux freins internes au développement économique. Elles limiteront l’engagement du secteur privé, principal moteur de l’investissement selon le Plan National de Développement (PND) 2016-2020.
Bien que ces risques existent, la capacité d’anticipation des autorités est cruciale pour mitiger. La diversification de l’économie nationale en cours, est une réponse adéquate. Elle doit cependant être renforcée et accélérée pour amortir d’éventuels chocs externes. Elle devra également profiter à l’ensemble de la population en termes de redistribution des richesses.
Relativement aux projections faites dans le PND 2016-2020, il semblerait que les performances économiques de la Côte d’Ivoire s’éloignent peu à peu des projections du scénario de l’ « éléphant émergent ». Cette situation pourrait s’expliquer en partie, par les différents chocs interne et externe auxquels a fait face la Côte d’Ivoire.
Même si les performances économiques sont toujours appréciables, les objectifs visés par le scénario de l’éléphant émergent pourraient finalement ne pas être atteints, en raison d’un ralentissement de l’investissement public et de la mollesse de l’investissement privé. Cette dynamique découlerait d’une part, d’une croissance moins rapide des recettes de l’Etat, contraignant ainsi la poursuite d’un fort endettement pour la réalisation des investissements publics, au risque d’être asphyxié par le service de la dette. D’autres part, les lenteurs dans la mise en œuvre des réformes structurelles et institutionnelles (gouvernance électronique, opérationnalisation des institutions, etc) et le retard dans la réalisation de certains projets structurant, limiteraient l’environnement des affaires et par la suite, pourraient restreindre l’investissement privé.
En outre, bien qu’en hausse ces dernières années, le niveau de l’investissement privé en Côte d’Ivoire, estimé à 13,8% du PIB en 2016, se situe toujours en dessous de la moyenne en Afrique Subsaharienne, estimé à peu près 15% du PIB, selon les données de la Banque Mondiale.
Les autorités ivoiriennes doivent donc renforcer le dialogue avec le secteur privé et accélérer la mise en œuvre des réformes afin que celui-ci puisse prendre le relais de la croissance, au risque de fragiliser les nombreux acquis de ces dernières années.
Par ailleurs, cette situation interpelle peut-être sur la nécessité de revisiter la stratégie de développement choisie, à travers le PND. Ceci, afin de prendre en compte les différents événements survenus (chocs, retards dans certains projets, conjoncture internationale, etc) et faire les réajustements nécessaires.
Il ne faudrait pas oublier le volet sécuritaire du pays qui est très sensible. De l’avis de certains analystes, l’exposition du pays à la menace terroriste pourrait se renforcer avec l’ouverture en septembre 2018, d’un Centre International de Formation à la Lutte Antiterroriste (CIFLA), qui matérialise son leadership régional dans la lutte contre le terrorisme. Selon le rapport BLOOMFIELD, le centre aura pour vocation de recevoir des militaires ou forces de sécurité de tous les pays africains confrontés au terrorisme.
Rappelons que le département BLOOMFIELD Intelligence est en charge de la production d’informations nécessaires à la prise de décision d’investissement. Il est chargé d’analyser les éléments permettant à BLOOMFIELD Investment Corporation, de prendre position sur le risque inhérent à un produit financier, un secteur d’activité ou une zone géographique. Les analyses du département ont pour vocation à appuyer les décisions prises par les clients souscripteurs de l’agence de notation.
La présente étude a pour objectif de mettre en évidence les éléments constitutifs du risque d’investissement en Côte d’Ivoire, suivant la méthodologie de l’agence de notation sur le risque pays.
Nadège Koffi